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Refuser l’achèvement, rester nomade : la vision picturale de Lu Hang

Liu Sichuan

Sans titre 15 | 2024 Huile sur canvas |  31 x 50cm x 3

Lors d’un entretien avec l’artiste Lu Hang, nous l’avions invité à s’exprimer sur le thème de « l’évolution du langage pictural ». Lu Hang nous a finalement remis un texte d’une remarquable profondeur et d’une grande cohérence. Il ne s’agit plus seulement d’une réponse à une question, mais bien d’un questionnement lucide et d’une expression intime de sa propre langue visuelle et de sa manière d’être au monde.

Dans cet écrit, Lu Hang ne s’attarde pas à la surface des œuvres, des techniques ou des styles. Il choisit d’aborder des enjeux plus essentiels : comment faire face à un monde saturé de récits et en perpétuel flottement ?

Comment, dans la dislocation et la recomposition des images, continuer de croire en la peinture et de l’explorer ?

Il ne s’agit pas ici d’une simple posture ou d’un énoncé conceptuel, mais du témoignage d’un processus vivant — une dynamique de renouvellement, de remise en question, et de régénération constante de soi-même.

Pour un jeune artiste en pleine évolution, une telle prise de parole, à la fois honnête et introspective, est précieuse. C’est précisément pour cela que nous avons décidé de publier ce texte, initialement destiné à accompagner un entretien, comme un écrit autonome. Cette réflexion, qui dépasse largement la surface de la peinture, donne à voir un état d’esprit créatif dans le présent — et mérite toute notre attention.

Sans titre 23 | 2024 Huile sur canvas |  165x145cm

L’évolution du langage pictural s’opère naturellement au fil de l’expérience de vie et de la maturation personnelle de l’artiste.

Il arrive un moment où l’artiste prend soudain conscience de quelque chose, où une pensée s’éclaircit. L’être change, et avec lui, son langage artistique évolue naturellement.

À notre époque, il semble de plus en plus difficile de discerner ce qui est sincère de ce qui est digne de confiance.

Lorsque j’observe le monde qui m’entoure avec ce doute en tête, j’ai souvent l’impression d’être plongé dans une illusion construite par les apparences. Ce n’est pas une illusion façonnée par un complot manifeste, mais plutôt un théâtre collectif insidieux, qui s’accumule couche après couche dans l’habitude et l’oubli.

En allant vers une observation plus fine, apparaissent alors certaines logiques grossières, des émotions hors de contrôle, des langages mécaniques, et des formes de violence dissimulée. Même les récits qui semblaient solides vacillent, s’effondrent, pour ne laisser derrière eux qu’un amas de fragments épars — un véritable champ de ruines.

J’ai commencé à douter de ces valeurs et croyances que l’on tient pour « allant de soi ». Bien souvent, elles ne naissent pas de manière organique, mais sont le produit d’un certain mécanisme — nous sommes guidés à y croire, entraînés à nous y attacher. Or, derrière ces attachements, il n’y a pas forcément de vérité, ni même de choix réellement nôtres.

Alors, j’ai commencé à me demander : cela a-t-il encore un sens de continuer à investir mon énergie dans ces enchevêtrements sans fin ? J’ai cessé de vouloir éclaircir tout ce qui est volontairement flou, de m’empresser de répondre à des questions fictives. Ce retrait me semble une manière plus juste d’approcher le réel.

J’essaie de préserver une forme de distance, une liberté de ne pas être absorbé — ne serait-ce qu’un mince espace. Choisir de ne pas trop s’impliquer, ne pas chercher à plaire, ne pas rejeter trop vite non plus. Face à ce théâtre quotidien de l’artifice et de l’ennui, j’apprends à les regarder passer avec calme, à reconnaître leur existence sans les combattre inutilement, à ne plus m’acharner à trouver des réponses, tout en conservant une forme d’ironie — une légèreté d’esprit.

Dans ce contexte, je ne crois plus qu’une image ait un point de départ ou une fin clairs. Les formes sont sans cesse brisées, distordues, en errance dans l’espace pictural. Elles deviennent des fragments de perception, en suspens entre réel et irréel.

Je ne recherche ni l’extrême ni la totalité, mais m’intéresse aux états intermédiaires entre les images — ces zones instables, indéterminées, mais chargées d’énergie. Elles sont liées au réel, mais prêtes à en dévier à tout moment, établissant un lien étrange entre rupture et genèse.

Il ne s’agit pas de choisir entre l’affirmation et le refus, mais de maintenir une tension vivante entre les deux. J’ai besoin de « faire quelque chose » entre ces fragments — faire émerger du neuf, maintenir la peinture dans une forme de nomadisme, la mettre en mouvement, y laisser des traces de sensations, et ainsi préserver à la fois une authenticité de l’être et une autonomie des images.

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Sans titre 13 | 2024 Huile sur canvas |  32x50cm,50x34cm,35x50cm

La peinture, pour moi, est un processus en perpétuelle génération. Elle ne repose ni sur l’établissement d’un objet ni sur la fixation d’un sens, et ne vise pas l’« achèvement » : elle est une forme d’apparition ouverte, instable — un agrégat d’impulsions, de hasards et d’incertitudes, qui répond à la complexité du réel par des formes en constante mutation.

Ayant pris conscience de l’instabilité du sens lui-même, je ne considère plus la peinture comme une simple représentation d’images, mais comme une action du « langage en soi » portée par des figures en mouvement. C’est à la fois une production visuelle et un geste corporel habité d’attitude — direct, rugueux, violent, mais aussi sincère, désinvolte, décentré.

Cette posture me ramène à l’immédiateté et à la primitivité du geste pictural — à l’instinct du corps, à l’animalité. J’y cherche des confrontations libres entre matière, ligne, émotion et pensée, dans l’espace bidimensionnel. Ces éléments se déplacent, se heurtent, se désalignent, se recomposent.

La peinture n’est plus une imitation du réel, ni le réceptacle d’un sens final. Elle devient une pratique sensorielle qui interfère avec la perception, une perturbation du système visuel — comme une flamme qui déchire l’obscurité, ou un caillou qui trouble la surface d’un étang. Ce qu’elle déclenche n’est pas un message, mais une expérience sensible, qui active le corps et les émotions du regardeur.

Je refuse que la peinture assume un rôle narratif ou symbolique clair. Mais je rejette tout autant le vide absolu qu’impliquerait un nihilisme sans retour. Ce que j’explore, c’est une zone de tension — entre non-signifiance et reconstruction — un interstice où l’image, en se générant, s’écroulant et se recomposant sans cesse, rend possible une forme de présence fluide.

Dans cette instabilité, une forme de certitude émerge — plus proche du réel que n’importe quel sens figé. La peinture devient ainsi un champ de forces en perpétuelle activation, non un résultat, mais un processus sans fin : une réponse ouverte au monde et à l’expérience vécue.

Sans titre 18 | 2024 Huile sur canvas |  33x46.5cm,38x49cm,32.5x45.5cm

La peinture peut devenir une sorte de « filet à rêves » — un tissage de matière, de perception, de langage, d’action et d’émotion, destiné à capturer ces ressentis et expériences indicibles, pour les figer brièvement sur la surface du tableau. Elle cesse ainsi d’être un résultat figé, pour devenir un processus en perpétuel déploiement, une manière d’exister en mouvement, un double témoignage — du monde et de soi.

Face à l’absurdité partagée entre langage, réalité et récit, je ne cherche plus ni centre, ni vérité. Je choisis plutôt de me déplacer, de me détourner, de m’échapper et de me reconfigurer — dans les zones d’expérience que sont la perception, l’image, le geste corporel et le langage pictural.

Je cherche à capter ce qui relève davantage d’un « état » présent ou d’un « avenir » en gestation — quelque chose de flottant, encore innommé mais déjà perceptible. Plutôt que de rester enfermé dans des obsessions, je me défais de l’illusion du « maintenant » et refuse d’être prisonnier du passé.

J’attends le futur — et l’approche des incertitudes encore à venir — avec impatience, espérant qu’elles se manifestent plus tôt que prévu.

#LuHangArtiste #Peinture #GalerieBB

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