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Anéantissement
Une de mes connaissances, un censeur de discours, m'a dit un jour qu'il était fier de sa profession, avec la logique que la censure de discours maintient notre société stable, de sorte que les gens se sentent heureux et peuvent donc travailler pour le bonheur de la société. Cela me rappelle une conversation que j'ai eue avec un ami qui a grandi au Japon et qui m'a dit que le concept de "soi" n'existe pas au Japon. Lorsque j'étais à l'université, lorsque je me demandais pourquoi nous existons, mes camarades de classe se moquaient de moi parce que je pensais trop, si bien que j'ai passé de nombreuses années à me considérer comme "étrange".
Ma peinture s'attache à la description de petits personnages, détruits par la société, sans visage, que j'ai décomposés et reconstitués. Ces êtres humains inconscients plongés dans un océan de néant mais qui ne vivent que de brefs moments de bonheur et de gaieté. Par exemple, vous pouvez voir le soldat romain qui pose la couronne d'épines sur le Christ, le citoyen qui dénonce son voisin juif aux nazis, les personnes qui ont joui de la joie de tuer pendant le massacre des Tutsis au Rwanda, l'étudiant qui dénonce son professeur au Comité révolutionnaire pendant la Révolution culturelle chinoise ou le soldat japonais qui s'est suicidé à Iwo Jima pendant la Seconde Guerre mondiale.
Dans cette exposition, je veux représenter ces personnes qui, plongées dans l'histoire, anéanties par la société, négligent la réflexion pour se conformer à la société. Ils deviennent ainsi complices du mal. Max Weber traite de la notion de charisme et pour moi les gens, par paresse, ne réfléchissent plus et se laissent aveugler par des leaders charismatiques. C'est la division sociale du travail poussée par l'asservissement de la société qui a conduit aux plus grandes atrocités du 20ème siècle.
A la lumière de Heinrich Bonhoeffer, pour qui la stupidité "n'est pas de nature intellectuelle, mais de nature morale ; on ne naît pas stupide, on le devient". Je pense comme Socrate que l'ignorance est le péché, elle est même le mal du siècle. Elle révèle le manque de solidité des fondements de notre civilisation. Comme l'effondrement de la Tour de Babel ou la chute de Rome, nous pouvons nous aussi constater la destruction de notre civilisation, et il est nécessaire de faire une introspection pour éviter l'érosion de ce "péché originel".