Musique, danse et les quatres cavaliers.

« Goya, dans "Le sommeil de la raison engendre des monstres", présente l'image d'un être assoupi dans la confusion et l'incertitude. En observant le monde d'aujourd'hui, je ressens profondément cette image. Comme le personnage du tableau, je lève la tête dans la nuit sombre, silence, je prends le pinceau et crée un autre monde étrange à travers la peinture – un monde marqué par la famine, la peste et la guerre. Des images de stupidité, de monstruosité, de cupidité et de cruauté y abondent. Lorsque la musique commence, ces figures semblent être invoquées par une force mystérieuse, se rassemblant pour danser, comme dans un rituel mystique... »
Acte I : Une image
Contexte
Dans mon imaginaire, il existe des images aliénées qui traversent le temps et sont omniprésentes. Ces images réapparaissent sans cesse à travers l'histoire, accomplissant les mêmes actions, comme l'exécution de Platon dans la Grèce antique, la croisade des paysans menée par l'ermite Pierre, la danse de la peste à Strasbourg en 1518, la bulle spéculative des tulipes aux Pays-Bas, l'affaire des esprits, la charge à l’assaut pendant la Seconde Guerre mondiale, et ainsi de suite. Ces événements, similaires dans leur essence, sont encore visibles dans la vie d'aujourd'hui. Goya les a enregistrés dans ses peintures de la période "Maison des sourds". Francis Bacon a aussi montré ce qu'il a vu.
Dans ma peinture, je cherche à présenter les images et états que je ressens de ces figures. La dynamique de ces images provient de mon intériorité, tout en étant alimentée par le désir que l'idéal devienne réalité, créant ainsi une "force de distorsion". Et c'est cette force qui pousse l'image à se transformer progressivement : à changer de couleur, de forme, à se tordre, à se briser et à se réorganiser.
Création
L'image se développe et évolue progressivement, les détails se précisent au fur et à mesure. Cette image est apparue pour la première fois dans mes toiles en 2016. Elle ressemblait à un spectre incertain, une forme de vie nue, solitaire, fragile et avide.

L'Opportuniste 2017 Huile sur toile 200 × 110 cm

Torse Rouge 2022 Huile sur toile 95 cm x 140 cm

L'Opportuniste 2017 Huile sur toile 200 × 110 cm
Flux et Aliénation de l'Image
J'ai créé une série de peintures de recherche autour du thème du "chien". À mon avis, il existe une connexion subtile et profonde entre l'animalité du chien et l'humanité. Pour révéler cette affinité, j'ai fait évoluer l'image du chien, changeant de couleur et de forme, de manière à la faire osciller visuellement entre différents états.
Cette exploration a finalement conduit en 2022 à la création d'une œuvre picturale intitulée "Chasser en rouge". Dans cette œuvre, une image étrange surgit – elle n'est ni humaine, ni animale, ni fantomatique, mais un mélange et une déformation des trois. Les frontières entre l'homme, l'animal et le fantôme se brouillent peu à peu, l'image commence à se décomposer, à se pénétrer mutuellement, à se transformer, à se réorganiser. C'est ainsi que commence l'aliénation vers une forme inconnue.
Changement et expansion des couleurs
Au début, j'ai cherché une couleur qui pourrait exprimer mes sensations et donner vie à ces images — une couleur qui pourrait à la fois refléter la texture de la chair et porter l'imaginaire de l'angoisse, de la violence et de la mort. Après plusieurs tentatives, j'ai finalement choisi le rouge, une couleur intense et directe, vive comme le sang, mais imprégnée d'une inquiétude et d'une agressivité sous-jacentes.
Cependant, à mesure que la création progressait, je me suis peu à peu rendu compte de la froideur et de l'isolement que la couleur rose pouvait induire. Ainsi, le rouge s'est graduellement transformé en rose, et avec le développement de l'image, sa signification et ses émotions se sont de plus en plus enrichies, et la palette de couleurs de l'image s'est diversifiée.
Triptyque
J'aime le format du triptyque, non seulement parce qu'il permet de présenter sous différents angles et formes un même sujet dans l'espace, mais aussi parce qu'il peut traverser le temps, formant ainsi une expression cohérente de l'image. Cela permet de déployer plusieurs dimensions : celle de l'espace, du temps, de la narration et de la perception psychologique.
Formes et postures
En 2022, après avoir terminé la peinture "Gymnastique", je me suis progressivement intéressé à la forme et à la posture des images. Au-delà de l'utilisation classique de la posture pour créer rythme et narration dans la peinture, je suis devenu fasciné par les émotions que ces postures transmettent et la tension qui se dégage de ces images.
Le changement de scène
Je souhaitais créer une scène pour ces images, afin qu'elles puissent révéler leur état et leur transformation. Initialement, l'espace était fermé et oppressant, tel un carcan qui limitait les mouvements des images. Mais à mesure que l'œuvre évoluait, l'espace s'est progressivement ouvert, devenant chargé d'émotion et de symbolisme, pour finalement devenir un lieu d'expression.
Ce processus me rappelle le film Joker, où Arthur sort de la petite pièce pour rejoindre un espace plus vaste, naturel et social. Ce n'est pas seulement un déplacement physique, mais aussi une évasion psychologique — une quête de rupture entre l'auto-répression et le monde extérieur. De manière similaire, dans ma peinture, les frontières psychologiques de l'image sont progressivement brisées, et l'expressivité s'intensifie. L'espace, lui, n'est plus seulement un arrière-plan, mais un environnement coexistant et influençant l'image.
Lorsque l'image et l'espace subissent tous deux une forme de déformation, ils s'entrelacent, se façonnent mutuellement, les frontières deviennent floues, et ils finissent par former un monde hétérogène à la fois absurde et réel.

Gravure : Frans Hogenberg (1539-1590)
Danse des fous (stultorum chorea) - vers 1560-70 - Gravure sur cuivre à l'eau-forte et au burin, Amsterdam, Rijksmuseum.
Danse
Dans les rues, un spectacle étrange et terrifiant se déroulait — des centaines de personnes semblaient être poussées par une force mystérieuse, se lançant dans une frénésie de danse incontrôlable. Elles se tordaient et tournaient sans fin sur la place, jusqu'à l'épuisement, certaines s'effondrant même et mourant. Ce qui était encore plus inquiétant, c'est qu'avec le temps, de plus en plus de personnes étaient entraînées par cette folie, se propageant rapidement parmi la foule comme une épidémie.
Il s'agissait de la célèbre « peste de danse de Strasbourg » dans l'histoire — une explosion de folie collective. L'oppression et la souffrance donnaient lieu à une forme déformée d'exutoire par le biais de la fête. Cependant, cet événement n'était pas isolé. Avant cela, des "pestes de danse" similaires s'étaient produites au moins dix fois, à chaque fois de manière soudaine, comme des fantômes, et disparaissant mystérieusement après avoir semé chaos et mort.
Dissolution de l'individu et extrémisation du groupe
Cela semble être un phénomène de hystérie collective. Dans cette danse frénétique, le sens de l'identité individuelle disparaît et se fond dans le tout, tout en étant englouti par un rythme invisible. Danser au rythme du collectif, poussé à l'extrême comme une marée montante. L'enthousiasme du groupe, le processus d'aliénation, de perte de contrôle, d'absorption. L'ascension des sorcières dans Les sorcières de Goya m'a inspiré pour exprimer le bizarre et l'absurde, et m'a aussi amené à réfléchir : qui ? Pourquoi tout cela a-t-il eu lieu ?
Sommes-nous vraiment devenus meilleurs ?
La peste de danse de Strasbourg remonte à plus de cinq cents ans, mais la folie collective n'a jamais disparu. La société moderne est toujours traversée par différentes formes de folie collective — l'obsession pour les célébrités, les fêtes de l'opinion publique sur Internet, la politique extrême et le nationalisme, la consommation effrénée et les « frénésies d'achats », les comportements extrêmes pendant les campagnes électorales, les bulles financières et les vagues spéculatives, la panique collective...
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Francisco de Goya
Les sorcières en vol (1539-1590) | Huile sur toile | 1798 | Musée du Prado, Espagne.
Acte III : Musique ( creation en cours )
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Francisco de Goya
Le Grand Bouc 1821- 1823 438 x 140 cm
Le Grand Bouc et le Flûtiste au manteau fleuri
Il y a plusieurs années, au musée du Prado, j'ai vu pour la première fois Le Grand Bouc de Goya, et la tension absurde et terrifiante m'a profondément marqué. L'image dégage une force noire, secrète et intangible, qui ne semble pas seulement appartenir à l'œuvre elle-même, mais aussi traverser l'histoire et les profondeurs de la nature humaine — un désir latent, qui est à la fois le plaisir du masoquisme et du sadisme, une complicité secrète. Conrad, dans Au cœur des ténèbres, a reflété cette nature humaine et révélé la violence primitive et les désirs cachés derrière la civilisation. Dans mes toiles, cette force se répand constamment, érodant progressivement les images, les tordant, les transformant, jusqu'à ce qu'elles se désintègrent et disparaissent.
En même temps, je pense au "Flûtiste au manteau fleuri" de Hamelin — cette figure qui, avec sa flûte magique, attire les enfants hors de la ville pour les faire disparaître dans la forêt noire inconnue. La musique de la flûte, comme un appel magique, fait oublier tout le reste aux enfants qui la suivent aveuglément. Et cette scène n'est-elle pas, après tout, une autre version de conte de fées du Grand Bouc de Goya sur sa toile ?
Sacrifice
Si les œuvres de Matisse, La Danse et La Musique, montrent la liberté du corps et la joie de l'esprit, le monde que je dépeins interprète la relation entre musique et danse sous un autre angle : celui de la perte et de la folie.
Dans cette fête incessante, les gens sont poussés à l'extrême, plongés dans une immersion totale, incapables de se libérer. Ils se perdent, s'enfoncent dans leur propre monde, jusqu'à sombrer. À un certain niveau, les images de danse suivent volontairement le "Flûtiste au manteau fleuri". Ce jeu ne connaît ni vainqueur ni innocent, mais il représente un sacrifice primitif sans fin. Et ce dans quoi ils se plongent, ce plaisir insatiable — qu'est-ce donc ? Les sons résonnent, la danse continue, et les images sur la toile se sacrifient elles-mêmes, devenant finalement une partie de la musique.
Acte IV : Les Quatre Cavaliers (Création en cours)

La première fois que j'ai entendu l'histoire des Quatre Cavaliers, je pensais que ce n'était qu'une légende fictive, existant seulement dans les textes religieux et les œuvres littéraires. Cependant, au fil du temps, j'ai commencé à me rendre compte qu'ils ne semblaient jamais être partis. À travers les âges, on peut toujours les apercevoir quelque part. Les artistes semblaient les avoir vus — dans l'Antiquité avec Holbein et Dürer, et dans l'ère moderne avec des artistes comme Baselitz, qui ont tous peint ce qu'ils ont vu. L'apparence des Quatre Cavaliers n'est peut-être plus celle des gravures de Dürer datant de plus de 500 ans, mais ils demeurent encore aujourd'hui, comme une fatalité, marchant aux côtés du monde, sans jamais disparaître.
Danse, musique et les Quatre Cavaliers
Dans cette série d'œuvres, la musique et la danse, semblables à des rituels anciens de sacrifice, invoquent une mystérieuse force. À mes yeux, ce qui vient finalement répondre à cet appel, ce sont les « Quatre Cavaliers ». Car ils ne viennent pas du monde extérieur, mais sont profondément ancrés dans l'âme de chaque individu.
Toutes les inventions technologiques de l'humanité sont, en fin de compte, des tentatives de lutte contre la mort. À une époque où la technologie avance à une vitesse fulgurante, où nous maîtrisons des outils puissants tels que les robots, l'intelligence artificielle, l'édition génétique, et l'informatique quantique, on dirait que l'on aperçoit l'espoir de se libérer de la fatalité des « Quatre Cavaliers ». Cependant, ces technologies vont-elles vraiment nous conduire au paradis, ou nous ont-elles promis le paradis pour finalement nous entraîner en enfer ? À ce moment, il devient vain de juger ce qui est juste ou faux. Ce qui importe véritablement, c'est ce en quoi nous croyons, les choix que nous faisons et le prix que nous payons.
Dürer
Les Quatre Cavaliers
1498
Gravure sur cuivre.
Peinture et présentation
Dans ce thème, j'ai fermement continué à faire évoluer ma peinture. La peinture est un processus où les émotions et l'imagination se lient à l'acte de création, et non une simple reproduction d'images préexistantes ou intentionnelles. Au cours de ce processus, l'inconscient et l'intervention du hasard font émerger et croître les images, qui se tordent, se transforment, s'aliènent et se reconstrui-sent, pour finalement se figer dans un instant approprié — à la fois apparaissant et disparaissant. Dans cet équilibre dynamique, les sensations sont capturées, et les images existent de manière fugace. J'essaie de faire en sorte que le processus lui-même fasse partie de l'œuvre, en permettant au hasard dans l'acte de peindre de guider la transformation des images, et que l'œuvre prenne vie au travers de sa génération et de ses changements constants, révélant ainsi sa vitalité unique.